C’est arrivé soudainement.
On jouait avec le cerf-volant de notre amour. Tu faisais du surf sur le vent de tes passions, haut dans les airs. Comme toujours, t’avais une bulle au cerveau plus grosse qu’une baleine, tu nous planifiais une nouvelle aventure et me tirais par en avant. Moi j’te retenais les ardeurs, juste un peu, juste assez, comme à l’habitude, les deux pieds sur terre à faire des calculs pour nos vies, à donner du concret à tes projets. J’te trouvais beau vu d’en bas, tu m’inspirais, tu m’amenais ailleurs, tu donnais des ailes à mes racines. Toi tu me trouvais forte vu d’en haut, rassurante. J’donnais de la raison et une maison à tes rêves vagabonds. On s’était attaché les sentiments l’un à l’autre, domestiqué le cœur puis mis en laisse par choix. On avait un équilibre parfait, la corde juste assez tendue entre nos deux corps épris, juste assez longue pour concilier air et terre.
Puis d’un coup, mes mains ont lâché prise.
C’est arrivé comme ça, en mauvaise surprise. Je l’ai su soudainement, quand en me réveillant le matin l’odeur de ta peau m’a donné la nausée. Je ne t’aimais plus. C’était plus fort que moi. Du jour au lendemain, tes blagues m’étaient rendues insignifiantes, tes textos m’irritaient, les tresses que t’essayais de me faire étaient laides puis j’trouvais ça con que tu te sois foulé la cheville en dansant la macarena. Toutes des choses qui te rendaient spécial, qui me faisaient penser qu’on était bizarrement parfaitement compatibles, je les regardais soudainement d’un autre œil. Te voir planer au-dessus de ma tête me donnait le mal de l’air. J’ai voulu te faire descendre, mais à la place, j’ai lâché prise de notre cerf-volant. Soudainement.
J’ai voulu te rattraper, l’espace d’un instant. J’ai joué à l’autruche avec ma soudaine absence de sentiments. J’ai voulu regagner notre corde qui pendouillait lâchement avant que tu ne t’aperçoives qu’il n’y avait plus personne au bout. Mais je me battais inutilement contre le vent. Un cerf-volant sans ancrage, ça part partout et nulle part; et plus j’essayais de me raccrocher, plus j’avais le vertige de notre amour qui ne se pouvait plus. Plus pour moi.
Tu m’as senti m’éloigner, trop vite pour que j’aie le temps de réaliser l’ampleur de ce qui nous arrivait, par la faute de mes mains maladroites qui t’avaient juste lâché un beau matin. La distance entre nos deux desseins s’agrandissait à mesure que je ne te suivais plus, ni ne te retenais. Chaotique, tu traçais des chemins improbables dans le ciel, et moi j’étais de plus en plus loin.
Quand j’ai compris que je ne pourrais pas te rattraper, pire, que je ne voulais pas te rattraper, j’ai tenté de te fournir les raisons de mon départ. Pour que ta corde s’accroche à un arbre, à un fil électrique, peu importe. Que tu puisses reprendre ton souffle le temps que le vent se calme dans ta toile et qu’il ne te déchire pas en plein vol. J’ai voulu te dire qu’il y avait un autre cerf-volant qui convoitait ma dirige, que la routine me pesait, que nos tempêtes se faisaient trop violentes pour rester. J’ai même cru un bref moment qu’il n’y avait plus assez de souffle céleste pour faire voler nos sentiments. Mais rien n’y faisait. Rien n’était vrai.
La seule chose qui tenait était que mes mains t’avaient abandonné, soudainement, pour rien.
Ça m’a choqué de voir à quel point on peut rapidement tomber en amour et à quelle vitesse on peut tout aussi rapidement s’en relever. Ça m’a dégoûté de voir que l’un comme l’autre de ces évènements échappent à la raison. Ça m’a fait mal de faire le deuil de toi alors que tu étais encore à côté de moi, de vouloir rester là mais savoir mon cœur déjà là-bas, ailleurs. C’est con, aussi, parce que j’avais toujours cru que ça serait toi qui partirait en premier, si partir devait être; parce que t’avais toujours la tête dans les nuages et l’esprit ouvert à tout. Maudit.
Mais ça m’a fait de la peine, surtout surtout, pour tous les autres que j’allais aimer, de me dire que mon cœur peut à tout moment se tanner. Et que les leurs vont à coup sûr toujours s’en relever. Ça a l’air tellement moins spécial, un cerf-volant, maintenant.
Je ne sais plus quoi faire de mes mains.