Le premier A

Je t’ai croisé l’autre jour en marchant dans la p’tite ville que j’habite pu depuis des années, mais que t’habites pu depuis plus longtemps encore. J’étais en mission vers le dépanneur pour aller m’acheter une slushpuppie parce que j’feel toujours un peu comme quand j’avais 14 ans dans c’te ville là. Je m’étais habillée en conséquence, avec le vieux linge qui traînait dans mes armoires presque vides qui sentent borderline la boulamite. J’étais clairement pas prête à te croiser comme ça sur la maine avoir su je me serais maquillée un peu pi je me serais mis des vêtements stylés fashion dans des teintes de kaki-beige parce que s’toujours à la mode pi une pancarte qui aurait dit check comment jsuis plus chix qu’y’a presque 10 ans. 10 ans… ayoye.  Mes yeux t’avaient pas reconnus, sont encore même pas sûrs que c’était toi, même deux jours plus tard, tellement t’étais pas comme dans les photos que j’avais gardées dans ma tête dans mes souvenirs. Tes cheveux étaient courts, propres, tes épaules plus carrées. T’avais la démarche d’un gars pressé, le genre qui sait où il s’en va. Le genre que t’avais jamais été pi que ça faisait ton charme dans le temps que t’étais nonchalant pi tannant. Ça faisait bizarre de te voir là parce que tu clashais un peu avec le décor aussi. La banlieue presque-campagne était pas friend avec ton semi-suit d’homme qui se taille une place dans la grand’ville. T’avais pas rapport pi mes globes oculaires le savaient ça fait qu’ils faisaient semblant de pas savoir t’étais qui. Mes yeux plissaient du front style tu me dis de quoi, mais peut être pas dans le fond.

Mon cœur lui, s’t’une autre affaire. Il l’avait su tout de suite. T’étais pas tout-à-fait dans mon champ de vision d’aveugle fonctionnelle qu’il s’était déjà mis à faire de l’overtime. Solo de whiplash dans le chest (tsé le film), y pompait du sang à une vitesse que les p’tits bonhommes dans mon cerveau pouvaient pas tolérer. J’avais le vertige un peu pi le derrière de mon t-shirt s’était collé à mon dos tout trempe, comme pour pas lâcher prise pendant la chute libre de toutes mes autres organes, en route pour faire le party dans mes talons avec mon estomac. Inquiète toi pas, le t-shirt. Jcomptais pas faire un striptease l’après-midi dans rue de ma ville natale, t’as pas besoin de me serrer de même mais y’était déjà trop tard. J’tais toute à l’envers. J’avais mon vieux linge laite comme une seconde peau, juste après ma peau-gluante-de-sueur. J’avais le shake aussi. Autant dire que je me sentais comme une sécheuse en mode pas délicat qui fait de la paralysie du sommeil. (google ça, ça fait vraiment peur.)

Ma partie consciente de mon moi-même avait un peu perdu le contrôle, à part pour mes yeux qui catchaient toujours fuck all ce qui se passait, encore trop loin pour te voir les traits d’la face. Ça fait que l’adrénaline a pris le volant et m’a mis en mode survie. J’ai changé de bord de trottoir.

Ouatte de phoque.

Ça m’a prise par surprise parce que dans ma tête changer de trottoir c’t’un maudit gros statement. C’est quelque chose que tu fais quand tu crains pour ta vie ou quand t’haïs quelqu’un à mourir. (Ou quand y’a trop de monde d’un bord de la route, ou quand le trafic piétonnier est trop lent pour tes mustangs de jambes. Mais ça c’est question stratégie) Chose sûre, tu changes certainement pas de bord de rue quand tu croises un gars en suit sur un trottoir vide à part pour quelques fleurs qui balaient le sol à tes pieds. Non, tu restes sur ce trottoir la, romantique pi vacant pi toute. D’autant plus que l’autre bord de la rue, bin y’en a pas de trottoir parce que dans ma p’tite ville où j’habite pu mais où j’vais faire des dodos une fois de temps en temps pour me réveiller les souvenirs pi me prendre pour une enfant, bin c’est de même ça marche. Tout le monde sur le même trottoir à s’faire des sourires de bonjour, pi à se reconnaître le prénom pi le nom de famille.

Ça fait que j’avais l’air un peu niaiseuse à traverser la rue déserte vers le côté d’la bouette. Pi ça a surtout eu pour effet d’attirer toute l’attention de l’homme-suit sur moi plutôt que sur la rivière qui était du bon côté de la route (celui du trottoir, celui des fleurs, celui où j’étais d’jà pu). Shit.

« J’en reviens pas, c’est la p’tite Mamz! »

Droit au cœur. Mes oreilles qui ont pris de l’âge ont fait un lien déplaisant entre Mamz et faux mamelon, parce nous autres dans ma gang de filles c’est comme ça qu’on appelle ça des faux seins. Mais dans ce cas-ci, c’était Mamz comme dans mademoiselle, comme dans mademoiselle et monsieur, comme dans les surnoms qu’on se donnait dans le temps qu’on échangeait de la salive quotidiennement pi qu’on était genre facebook official avant que facebook existe pour le grand public. On trouvait ça drôle back in the days s’appeler de même pi se vouvoyer des fois parce qu’on avait l’air de toute sauf le genre de monde qu’on vouvoie pi qu’on appelle mademoiselle et monsieur. On était du genre à se mettre des chapeaux de fête sur la tête pour aller chiller au centre d’achat ou jouer aux ninjas pi se cacher dans les casiers au secondaire ou encore se prendre pour des pirates dans les couloirs du cégep. Mademoiselle et Monsieur c’était surtout aussi (j’pense, mais on se l’était jamais vraiment dit) notre façon de se promettre de pas vieillir pour devenir plate, de faire de nos jours des terrains de jeu. Un petit oxymore de nos vies quoi. J’ai lâché un petit rire nerveux, parce que moi j’me sentais encore comme la p’tite Mamz d’avant, mais quand je lui ai renvoyé un Bien le bonjour Monsieur, ça m’a mis mal à l’aise parce que le surnom était pu une joke maintenant. T’étais rendu un Monsieur, un vrai. Un inconnu.

Je savais pas trop quoi te dire, même si j’avais imaginé ce moment là au moins mille cent fois.

On s’est échangé des politesses en prenant des nouvelles de nos familles respectives, de nos jobs, de nos projets. Tu m’as confirmé ce que ton suit me disait déjà. T’étais en voie d’être associé pour une firme de je-sais-pas-trop-quoi qui implique pas mal de calculs, tu venais de t’acheter un condo dans le nouveau coin hipster de la grand’ville avec ta copine qui avait presque le même nom que moi et tu te planifiais une ascension du Kilimandjaro pour le plaisir. Moi bin, je t’ai dit des versions embellies de ce que j’étais devenue, genre que j’étais freelance pour des trucs qui impliquent de l’écriture (donc à la recherche d’un emploi), que je venais tout juste d’emménager avec mon copain-super-nice (because pas de job donc plus d’argent pour me payer un appartement seule) et que j’irais bientôt faire le tour de l’Asie (un jour, un jour…). Des âneries. Mais on se connaissait tellement plus que j’avais cette liberté-là de pouvoir m’inventer une vie à la hauteur de ton nouveau look.  On s’est laissé sur des on se donne des nouvelles évasifs et des c’était vraiment lfun de te croiser pas convaincants.  J’me suis virée de bord et suis retournée dans la bicoque de mes parents, en oubliant de m’acheter ma slushpuppie. J’en aurais eu de besoin, j’avais le thermomètre du corps à évaporation.

Ayoye.

Mon premier amour. Disparu dans la brume depuis 10 ans, mais juste là en suit dans les rues qu’on a arpenté trop souvent en s’étampant nos crèmes glacés dans la face pi en se trouvant drôle. Mon premier amour avec qui j’ai partagé un septième de ma vie, mes moments les plus décisifs et toutes mes premières expériences de fluides. Mon premier amour avec lequel j’avais imaginé mille cent fois les retrouvailles, écrit mille cents lettres qui lui disaient comment je me sentais, en évolution avec les étapes de mon deuil de nous. Des lettres qui comprennent pas, des lettres fâchées, des lettres tristes, des lettres récapitulatives. Des poèmes, des chansons, des cartes postales encore enfermées dans mon tiroir, à côté de l’armoire à boulamite, à côté des mille cents petites preuves de ton amour à toi que j’ai aussi gardées dans une petite boîte que j’ouvre une fois de temps en temps quand j’suis pu sûre si j’vaux la peine d’être aimée. Tes petits mots qui me rappellent que oui, je vaux la peine. Parce que tu m’aimais en maudit, j’pense. Mais à un moment donné tu m’aimais pu.

C’est spécial, un premier amour. C’est le seul dans ta vie à qui tu vas tout donner, sans restriction, parce que t’as encore le cœur tout beau, tout lisse, plein de licornes pi d’idées de grandeur qui se sont pas encore cognées la tête sur le plafond de la vraie vie. C’est un amour pur, naïf, sincère qui connaît ses premiers grands sentiments et qui les laisse déferler sur tout le reste tu te donnes en maudit dans cette première relation là. C’est aussi l’amour avec qui tous tes autres amours entrent en compétition malgré eux. C’est lui qui devient ta définition de l’amour avec un grand A et quiconque  se rapproche pas de ce qu’il était de ce que vous étiez te fait un peu douter de la véracité des émotions en cours ou de leur intensité. Rien ne lui arrivera jamais à la cheville de toute façon, parce qu’une fois ce premier amour passé, tu vas être un petit peu magané pi tu vas avoir peur. Tu le sais que la corde de bungee de tes sentiments est pas aussi solide que ce que t’espérais ça fait que tu sautes avec moins de conviction ou tu sautes carrément pas.

Après le premier amour, on est plus frileux, on donne un peu moins. On devient tous un peu gratteux de nos marques d’affections. On fait nos séraphins. On fait des plans pour le futur, comme dans le temps avec ce first luv où t’as 16 ans mais que tu rêves à ton mariage pi à avoir des enfants, ouais avoue, tu fais exactement ces mêmes plans là mais tu les ponctues de haha pour les rendre moins sérieux pi des jajaj quand t’as un verre dans le nez qui noient tes rêves de maisons pi de bébés. C’est okay, on se l’est tous construit, la carapace autour de notre cœur de licorne.

Maintenant qu’on est plus vieux pi qu’on s’est accumulés les cicatrices, on se fait aussi tous payer aux uns pi aux autres les erreurs de ceux qui ont planté leur drapeau dans notre cœur en premier ça fait que des fois c’est difficile de se trouver un p’tit boute inhabité dans lequel se construire une maison dans le chest de la personne avec qui on échange la salive les autres fluides pi les moments beaux surtout. Tout le monde a la chienne, traumatisé par des premiers amours qui ont pas été des derniers, pi après ça traumatisé par tous les autres amours qui ont suivi qui se sont bien mais souvent mal finis. On se rencontre avec un bagage émotionnel gros comme l’Everest, des préconceptions de ce que la nouvelle relation va avoir l’air pi assez d’insécurité pour nourrir un continent en entier. J’pense que plus souvent qu’autrement on se fait des reproches qui étaient destinés à la personne qui était là juste avant. Ça fait qu’on est rarement juste deux dans un couple, pi faut apprendre à se gérer pi à gérer tous ceux qui sont passés par là qui ont oublié d’enlever leur maudit drapeau dans le cœur de notre nouvelle personne pref. On est vraiment toute fuckés pi mélangés par les fantômes de nos passés. On le sait que l’amour c’est cool (parce qu’on se rappelle le premier) mais on le sait aussi que ça fait mal en bibitte après pi on est comme pu trop sûr si ça vaut la peine d’essayer.

Depuis que j’ai croisé mon plus gros fantôme en suit dans la rue, j’suis en paix un peu j’crois. J’quasiment contente qu’il ressemblait pu à rien de ce que j’aimais, qu’y’avait bafoué la seule promesse que j’pensais qu’on s’était faite en jouant au monsieur. Ça me confirme juste que mon premier amour, anyways, il était pas fait pour toffer la long run. Ça change rien au fait que j’ai pu le cœur tout beau tout lisse comme au début, mais ça met un plaster sur un vieux bobo. Par contre, ce que ça me rappelle c’est que peu importe ce que je fais, si je décide d’essayer de me lancer pour vrai dans mon bungee avec ma nouvelle corde pi que j’me mets les drapeaux du cœur en berne pour l’homme avec qui j’partage les soleils pi les lunes, tous les jours, bin y’a deux seuls scénarios possibles : soit ça marche pour la vie, genre forever and ever soit ça marchera pas pi ça va fouarrer à un moment donné. Les deux font tout aussi peur l’un que l’autre.