Bad boy

Avant, j’avais l’amour en roller coaster. Je me cherchais les sentiments juste si c’était pour être des émotions fortes. J’faisais comme toutes les autres pi je m’excitais l’poil des bras pour le manège le plus gros, le plus grand, le plus dangereux le plus rapide. J’avais l’goût de tomber en amour avec un grand A et de me faire virer le cœur à l’envers. Fallait que ça me fasse peur, fallait que ça me fasse mal par en-dedans, que ça m’tiraille les intérieurs; je gaspillais tous mes vœux de chandelles mes 11h11 pi mes clés-cadenas-barrés pour ça. C’était de ma faute, pi pas de ma faute en même temps. D’un côté, j’avais lu mille et un livres de classiques amoureux passionnés qui me faisaient croire que la seule façon de vivre l’amour véritable c’était de vouloir mourir pour quelqu’un. D’un autre côté, je jouais de ma vie comme d’une pièce de théâtre ça fait que j’courais un peu pas mal après le drame. Je me prenais pour une Capulet et la hauteur de ma montagne russe était proportionnelle à mon poison. C’était malsain.

Je faisais la file pendant des mois pour un bad boy que tout le monde voulait et que tout le monde essayait. La version humaine du Goliath de la Ronde, sauf que c’tait bin rare que t’en ressortes avec une photo. Ç’aurait été de s’afficher avec quelqu’un et le bad boy aurait jamais fait ça; il était bin trop libre et indépendant et ouvert (et cool et beau et étrangement plus grand pi poilu que les autres gars). L’affaire, c’est que j’étais pas la seule à penser de même, c’était un problème de tranche d’âge j’pense quelque chose à voir avec l’hypothalamus pi l’œstrogène pi l’industrie culturelle des films américains ça fait que la majorité des filles avaient l’air de tripper émotions fortes elles aussi. Maudit. Tsé dans la vie, à l’épicerie admettons, quand y’a trop d’monde à la caisse, tu changes de caisse mais pas dans un parc d’attraction. C’est l’inverse. Plutôt que de me freiner les ardeurs aériennes, le nombre de filles qui voulaient embarquer dans le roller coaster faisait juste me confirmer que j’avais fait le bon choix. Le manège en valait sûrement la peine, déjà j’avais des papillons dans le ventre.

On le savait toutes à l’époque que ce genre de gars-là venait avec des gros avertissements d’écrits dans le front, la plupart avaient même le culot de te le dire en pleine face; tombe pas en amour, j’pas un bon gars. Ça sonnait toujours un peu comme un t’es pas game dans mes oreilles. Ça rendait le concept encore plus attirant, mes hormones se sentaient rebelles et compétitives, tout mon corps était en crise d’adolescence. Je gérais bien mal les consignes qu’on me donnait d’autant plus que j’avais une centaine de film de luv poche dans ma chambre rose-orange qui me confirmaient que le bad boy dans le fond c’est une notion fluide pi que si j’fais la nerd la fille ordinaire que j’donne du tutorat à ce gars trop-cool-pour-moi il va finir par me marier dans une chapelle blanche qui chevauche la frontière de deux pays pi m’acheter une étoile, genre. C’était un beau défi dans le temps. Donc invariablement je tombais en amour. Ou plutôt je tombais tout court. Parce que pour tomber en amour y’aurait fallu que le gars ait une importance en soi, mais en réalité ces gars-là c’était des concepts plus qu’autre chose; des drames déguisés en manège extrême pour me tester les sentiments en dents de scie d’ado.

Quand c’était enfin mon tour, après la file de filles qui se ressemblaient toutes habillées de la tête au pied chez garage (comme moi), je montais fièrement dans la montagne russe-testostérone-pas-bonne-pour-moi. Les rides duraient jamais bien longtemps. Aussitôt embarquée, je me faisais barouetter à gauche et à droite, traîner dans des partys où j’avais pas rapport où mon bad boy disparaissait pi où jfinissais par vomir d’alcool sucré, de mal d’amour pi d’anxiété. On s’engueulait comme jamais, on se réconciliait tout aussi intensément et on recommençait. Up and Down, Up and Down, Up and Down. On m’invitait ensuite à quitter le manège; parfois gentiment, parfois méchamment, mais la majorité du temps, fallait juste que je comprenne par moi-même que le manège s’était arrêté et que j’avais pu aucune affaire à être assise là. Mes roller coasters communiquaient pas beaucoup à part le speech au début qui me disait que ça allait pas durer, anyways.

Des fois ils étaient trop intenses et je finissais le parcours avec des nausées immenses. Des fois j’avais tellement fait de vrilles que je sortais de ces ‘relations’ complètement désorientées; je me recherchais la personnalité que j’avais laissé s’effacer un peu pour mieux fitter avec mon bad boy, pour mieux m’attacher le cœur à sa pierre-de-coeur. Parce que l’adrénaline me montait à la tête, je m’étais mise à dire pi à faire des affaires qu’en rétrospective j’aurais pas faites. C’était pas évident de me retrouver l’individualité après ça, en plus j’avais l’impression d’avoir échappé mon amour-propre du plus haut du drop et on ne me laissait pas aller le chercher, juste en dessous du coaster, dans le cimetière d’amour-propre de petites filles qui avaient elles aussi pas réussi leur plan machiavélique de chapelle blanche. Ce qui était le plus rough de ces rides là, surtout, c’est que j’me tenais super super fort à la ceinture de sécurité parce qu’à tout moment j’avais peur d’être expulsée du manège. C’était mauvais pour l’estime pi à trop m’accrocher de même ça devenait difficile quand venait le temps de décrocher, j’avais les jointures toutes crispées, j’pouvais pas lâcher prise.

Mais comme pour tout, éventuellement j’m’en remettais. Deux trois gorgées d’eau une petite marche autour de mon adolescence pi quatre-cinq films de filles plus tard, je me replaçais en file pour le prochain manège. J’avais pas froid aux yeux dans le temps, mais plus maintenant. Avant j’avais l’amour en roller coaster pi j’me cherchais les sentiments juste si c’était pour être des émotions fortes, aujourd’hui c’est différent. J’ai vieilli pas mal, j’en garde toutes sortes de cicatrices ça fait que j’ai plus l’estomac aussi solide qu’il ne l’était. J’ai plus l’goût de me faire virer à l’envers comme autrefois. Maintenant si j’ai à choisir un manège, je préfère celui qui dure plus longtemps, qui est plus constant et qui a pas mal moins de monde en ligne. J’ai pas besoin de me perdre le bonheur dans une chute libre pi de me compétitionner l’affection pour savoir que ce que je ressens est véritable et valable.

Malgré cela mon cœur a appris l’amour dans les manèges et une fois de temps en temps, il va partir en vrille. Des fois pour des bonnes raisons, genre quand mon homme entre chez moi et que son parfum remplit la pièce ça me donne toujours un peu le tournis pi mes papillons de ventre sont toute excitées. Pi des fois pour des mauvaises raisons, genre quand j’hallucine que les filles autour de moi de lui sont en file d’attente pour mon beau petit carrousel. Ou quand je me mets à penser que mon carrousel c’est peut-être un roller coaster déguisé. Quand j’t’un peu parano, en bref.

J’t’encore traumatisée par ma dernière montagne peut-être.

Mais j’apprends à me dompter le coeur. Ça s’en vient.