C’est drôle. L’autre fois j’étais au parc de ma ville préf de banlieue de campagne bien tranquille à lire un livre léger d’été qui parle d’été pi de voyage pi de soleil. Je fais ça souvent, du renforcement de mood de même; comme quand j’suis triste j’écoute des tounes tristes pour être encore plus tristes, quand j’suis in love j’écoute des films de luv pour être encore plus in love. Tu vois le pattern, je m’exorcise et m’hypnotise les feelings comme ça. Là j’étais dans un parc l’été au soleil zen pi heureuse ça fait que tu comprends à quoi ressemblait ma lecture. J’m’autoplongeais tête première dans une bulle estivale, rayons UV dans ma rétine plissée, vent dans les cheveux mêlés, gazon tout collé à mon dos détrempé. Mes deux pieds jouaient à l’autruche dans le début de fausse plage du terrain de beachvolley qui a jamais de filet. Juste à côté, dans les modules de jeu, quatre kids faisaient de l’origami humaine dans une toile d’araignée qui tourne, c’est nouveau, back in the days ça tournait pas les toiles d’araignée, c’était déjà assez dangereux de même. Ils spinnaient à vitesse moyenne tout entremêlés dans la corde, ils avaient du fun, leurs rires me chatouillaient les oreilles comme des tintements de verres en cristal dans les cheers-bravo-santé! de mariage. Le sable me chatouillait les orteils aussi. J’suis pas mal chatouilleuse de partout en fait c’est un problème d’habitude, mais pas cette fois-là. Tout pouvait bien me chatouiller, ça m’faisait plaisir de rire avec les chin-chin de petits humains au loin pi mon roman de renforcement saisonnier.
Une fois de temps en temps, des passants passaient. Je levais le nez de mon livre pour regarder les leurs tout crémés comme des lifeguards mais vieux, je leur disais des bonne journées de fille bin heureuse pi à l’aise avec le concept de l’étranger. Faut dire que l’étranger en banlieue c’est pas le même étrange qu’en ville, le eye contact fait moins peur ça fait que le smile et les bonjours sont plus fluides. Ça sentait bon la vie de communauté pi les fleurs pi l’été pi la noix de coco dans leurs crèmes solaires de nez. Ça me mettait dans un état un peu spécial. Dans ma tête, c’était l’euphorie, le genre de moment où tu te sens personne et quelqu’un, nulle part et partout en même temps. Complète. Faut dire que c’était la canicule aussi pi que ma bouteille d’eau était vide depuis un bout. Je flottais, entre mon livre, les gens pi la vraie vie. Je regardais au loin souvent, par-dessus le lac qui borde le parc. Dans l’horizon qui se mélangeait avec les nuages en barbe-à-papa, je laissais mon imagination prendre de l’expansion et se perdre au détour d’un cumulus en forme d’ours. Je m’ouvrais l’esprit que je gardais un peu fermé la semaine au bureau, écrasée par les buildings et les grandes personnes. Sans attaches ni hiérarchie, je faisais le plein de vide de ma journée de congé. C’était un maudit beau moment.
Oui, c’était beau et doux et plaisant sauf pour le fait qu’à ce moment là dans ce moment là un des p’tits gars dans la toile d’araignée a joué au bonhomme pendu malgré lui avant d’atterrir en gros tambour sur le tapis de boules en caoutchouc. Ça te réveille le coup de chaleur et la déshydratation bien vite quand ça arrive ces affaires-là. Mes yeux ont arrêté de transformer les nuages en animaux de la ferme pour focusser sur la p’tite bête blessée au sol au loin. Il se tenait le coude gauche avec sa main toute éraflée. Du sang tombait en robinet mal fermé de son menton. Mêlé à ses larmes qui lui mouillaient le visage en entier, ça faisait un bon dégât liquide. Les autres cocos savaient pas quoi faire, deux pleuraient en solidarité envers leur camarade tombé au combat, l’autre essayait de lui faire un bandage de face avec son chandail tout crotté. C’était ni sanitaire ni efficace. Je me suis dit en panique dans ma tête qu’il fallait vite vite que j’aille trouver un adulte pour gérer la situation. Mais dans la situation en question, d’autres adultes il n’y en avait pas. Ça m’a pris une coupe de fractions de secondes de trop avant de faire le déclic dans mon cerveau de fille de mi-vingtaine non assumée. L’adulte c’était moi.
Merde.
C’est drôle à quel point ma définition d’adulte ne me correspond pas. Pour être adulte, selon moi, il faut inspirer le respect et la confiance, avoir un projet de vie entamé ou des enfants. Faut toujours avoir du purell sur soi ou une mallette et un horaire de sommeil régulier. Un adulte, dans ma tête, ça porte une montre, ça parle de la bourse, ça cuisine avec un verre de vin. Ça black out pas à la sortie des bars, ça se torche pas avec de l’essuie-tout spongie parce que ça a oublié d’acheter du papier de toilette pi ça mange pas des poptarts pour dîner. Pour être adulte, faut mériter son titre de noblesse et faire des trucs d’adultes. J’pas rendu là encore, j’pas certaine d’en avoir envie non plus, mais j’ai pas vraiment le choix de faire comme si, c’est de même que le monde est faite. Faudrait peut-être collectivement arrêter de s’associer le nombre de cercles d’écorce de tronc d’arbre au fait d’être adulte. Dépassé 18 cercles-d’années, t’es majeur. Pour le reste, c’est pas l’âge qui devrait déterminer moi j’dis.
Je sais pas trop à quel moment ça s’est passé, ni comment c’est arrivé mais j’me suis toute pognée dans une vie d’adulte qui est clairement pas la mienne, elle me donne l’impression de faire de la chimie-de-destin avec les yeux bandés. Je travaille à un bureau qui est trop grand, avec des crayons qui ont juste une couleur. Je m’accote le dos sur une chaise de posture lombaire qui bloque après avoir tourné deux fois. J’rentre des chiffres dans des fichiers excels pi j’fais comme si je comprenais comment les formules marchaient mais j’fais les additions sur le côté avec ma calculatrice verte et jaune. C’est con, faire semblant de même.
Ça me fait bizarre de jouer à l’adulte de 9 à 5 quand le matin j’déjeune avec une gauffre ego pi je m’amuse à mettre une pépite de chocolat dans chaque carré comme ça quand j’les fais fondre dans mon easy bake de grande personne ça donne 52 piscines de cacao, j’les ai comptées. Aussi, quand j’me lave les cheveux j’ramasse toujours l’excès de bulle dans mes mains j’me fais une fausse barbe avec pi une montagne qui explose en poussière de pissenlit quand je souffle dessus. Ça colle des drôles de chapeaux aux poissons multicolores de mon rideau de douche. Tous les matins. Non okay, pas tous les matins. T’es fou toi j’me lave pas les cheveux tous les jours des plans pour avoir les cheveux gras tous les soirs. J’connais la game.
Sérieusement, je sais vraiment pas comment c’est arrivé, que je sois passée de jouer avec des crayons de cire, puis des clés d’auto et maintenant devoir faire mes impôts parce que quand je marche vers le métro (l’épicerie pi le transport) j’touche encore jamais les lignes du trottoir pi j’fais des grands détours quand j’croise un verre de terre. J’les trust pas, même après 25 cercles de tronc d’arbre. J’me dis aussi que la journée va être belle en maudit quand l’métro (juste le transport, pas l’épicerie) arrive en même temps que moi à la station, pi une fois en dedans, même s’il y a mille bancs de libres, je reste debout pour faire du surf-stm. J’perds l’équilibre rendu à champs-de-mars. Si il pleut j’prends ma voiture qui est majeure elle avec, toujours parkée à l’autre bout du monde ça fait que je saute dans 2-3 flaques d’eau avant de l’atteindre. Je mets les wipers à vitesse vite vite pi je change de poste de radio jusqu’à temps qu’il y ait une toune qui fitte la vibe de ma zézette. Je compte les autos les pancartes les imperméables jaunes pi le but c’est d’arriver à un chiffre rond entre ma maison pi mon travail. C’est pas normal me donner une job d’adulte quand la route au complet pour m’y rendre c’est un parcours de Mario Kart dans ma tête pi que j’hésite toujours à jeter mes pelures de banane derrière moi pour ralentir ma compétition imaginaire.
En plus j’suis encore comme un enfant à la garderie, j’tout le temps malade pi quand j’suis malade, j’me fais une soupe lipton que j’laisse fondre 2 glaçons dedans en les faisant danser avec ma cuillère. J’m’emmitoufle dans ma doudou que j’ai depuis qu’j’ai évacué l’intérieur de ma mère pi j’écoute des films de disney ou de princesses ou les deux toute la journée. Des fois j’fais semblant d’être plus malade que comment j’me sens vraiment pour pas aller au travail et j’peux imiter la signature de mon père si jamais il faut un jour donner un mot à mon boss pour justifier de faire la job buissonnière. Dans ma chambre, c’est le royaume des lumières de Noël, pas parce que pinterest m’a dit que c’était cool, mais parce que j’aime crissement ça Noël pi déballer des cadeaux pi chanter des chansons pi boire du chocolat chaud avec 12 petites guimauves dedans. J’les fais danser avec ma cuillère aussi, j’discrimine pas.
J’suis une imposteur. J’pas mal sûre que je l’ai pas passé l’examen pour avoir mon permis d’adulte. Allô la vie? T’as oublié de m’expliquer comment faire alors j’procède par essai-erreur avec plus d’erreurs que d’essais. Je suis absolument inadéquate dans ce nouveau rôle que tu m’as donné et que tout le monde attend de moi, j’ai juste envie d’aller jouer à la marelle dans un coin et faire des dessins de cœur à la craie sur le trottoir. J’préfère de loin passer ma journée à garder des enfants, je connecte bin plus avec eux qu’avec leurs parents qui ont à peu près mon âge. Allô, vous êtes allé le prendre où vous, votre master class de grande personne ? J’suis curieuse parce que j’ai pas vu les annonces passer sur YTV et vrak tv et pourtant, collectivement, vous avez tous commencé à vous acheter des maisons sur mon newsfeed pi vous marier pi faire des bébés. Facebook me confirme quotidiennement que vous avez gradué de votre jeunesse, j’aimerais comprendre votre parcours svp! De mon côté, je dois clairement pas avoir fait les bons choix de vie parce que je viens juste de passer ma seule journée de semaine de congé du mois au parc de ma ville natale à côté des jeux pour petits humains : je suis une enfant majeure, rien de plus. Le cordon de mon enfance est visiblement pas coupé.
Mais adulte ou pas, dans ma tête et dans la vie, fallait que j’aille à la rescousse du jeune soldat à la courte chute libre et à la perte hémoglobine du menton toujours grandissante. Remarque, un adulte, un vrai, permis et purell à l’appui, aurait pas eu un haut le cœur en s’approchant de la scène de crime pleine de sang. Un adulte aurait d’ailleurs joggé sur les lieux l’air de dire qu’il y a urgence mais qu’il a vu pire. Un adulte aurait eu une bouteille d’eau pas vide avec une débarbouillette un bandage et des trucs de secouristes en tête genre mets ton cou à 80 degrés sud-ouest ça va coaguler plus vite.
Moi, j’ai sprinté dans toute mon inutilité vers le festival de la larme avec zéro aptitude de grande personne sinon que l’exploit d’avoir franchi le cap des 18 ans en vie. Au moins j’avais un gros plaster dans mon sac de plage de parc. Un plaster avec des princesses dessus.