On est tombé amoureux en voyage. On est tombé tellement fort je pense que les deux on s’est cassé les chevilles de nos sentiments le jour où nos iris se sont croisés le blanc des yeux. On s’est aimé la première fois entre deux chutes d’eau, pour être plus précise, dans une piscine naturelle dont je me souviens plus le nom parce que j’pense que je l’ai jamais su vu que le guide qui nous traînait dans la jungle avait la langue qui fourchait au rythme de syllabes qui nous étaient inconnues. Dans une source d’eau imprécise dans le fond, sous un décor paradisiaque, tu nageais en petit chien et tu riais plus fort que tous les autres en avalant de l’air en avalant des bouillons aussi. T’avais les yeux plissés de bonheur tellement petits qu’on peinait à voir qu’ils étaient plus turquoises encore que l’eau douce qui nous entourait. Quelque part au fond de moi, je le savais déjà que tes yeux seraient les plus beaux. C’est comme si j’avais reconnu en toi le voyage que je vivais et il ne m’en fallait pas plus pour que mon cœur batte à coup de triolet dans mon chest. Plus tard tu m’apprenais que toi aussi tu m’avais reconnu, parmi la dizaine d’aventurières en petit maillot triangle à feuille de palmier blanc pi vert foncé c’est la mode ces temps-ci je pense, c’est mon one-piece qui t’avait attrapé le cœur, ça pi mon rire gêné que je cache toujours avec deux mains il paraît que t’as trouvé ça cute instantanément. Ça aura pris des minutes, pas beaucoup quand même, avant qu’on se retrouve tout essoufflé à faire du surplace dans le creux proche de l’atterrissage de la plus haute des deux chutes avant qu’on se présente maladroitement en anglais tout magané. Ça aura pris encore moins de temps avant qu’on se rende compte que les deux on était des québécois bien creux, nos accents nous trahissaient de tout bord tout côté surtout toi avec tes the qui sonnaient comme des gros de pi ton canada avec le plus gras des a en fin de bouche. Évidemment, au milieu de nulle part, deux québécois s’étaient trouvés. Mais nous c’était différent. On est tombé amoureux instantanément.
Les semaines qui ont suivies sont aussi claires que floues dans ma tête. Claires dans les petits moments, des photos que je me suis prise en plissant des yeux plus forts qui se sont étampées dans mon cerveau. Des polaroids vues juste par moi pour moi comme la milli seconde où la crème glacée que t’avais pris 10 minutes à te commander parce que t’insistais pour pas parler l’anglais ni pointer les images mais pour parler comme un local est tombée sur tes orteils nues dans tes gougounes prêtes pour la poubelle. Le petit chien maigre avec des oreilles grosses comme des aubergines est devenu notre best friend en lichant tes pieds on a ri beaucoup, ou encore le moment où tu m’as juste pris la main sur le bord de la falaise proche de notre hostel le bout de tes doigts encore rugueux de l’heure que tu venais de passer à jouer de la guitare juste des accords aucune toune, tu dis que c’est parce que t’aimes ta musique libre mais je sais au fond que c’est parce que tu connais juste aucune chanson et que t’abandonnes ton apprentissage après le premier refrain. Des instants tellement clairs comme si j’avais saturé au max des instagrams de toi partout dans mes souvenirs. Des instants tellement clairs qu’ils en sont flous parce qu’ils passaient à une vitesse grand V jamais un voyage d’un mois m’a paru aussi court et pourtant je voyage souvent. C’est pas clair aussi à quel point rapidement on est devenu un couple, tout naturellement, à quel point on s’est suivi partout sans même se le demander, qu’on a eu besoin de peu de mots pour décider que chambre commune était la clé et que les deux on voulait vraiment la faire, la plongée avec les requins. T’aimait la même bouffe que moi la même musique les mêmes activités, on passait aussi des heures des fois à pas parler juste lire côte à côte devant des décors tellement beaux ça se peut pas voir que des gens vivent là-bas à l’année longue pi que nous on est pris avec des hivers à -40. Des fois tu riais de quelque chose que tu lisais on prenait une pause pour en jaser on faisait la même chose quand moi j’apprenais quelque chose de super pertinent dans mes livres de self help qui sont sensés me donner la recette pour passer ma vie en voyage pi jamais avoir à faire du 9 à 4. Mes grands vendeurs de rêve sur papier.
Le plus beau dans tout ça c’était que le hasard avait fait qu’on habitait les deux la même ville alors quitter les palmiers, le celcius d’évaporation et le vent salé nous faisait moins mal à l’âme on était chanceux on ramenait avec nous le plus beau des souvenirs de voyage, on ramenait le voyage avec nous, on se ramenait nous. Si souvent dans ma vie j’ai eu des amours de vacances, celui-là avait tout l’apparence d’être l’amour de ma vie, quelqu’un qui tripperait autant sur mon mode de vie s’il m’arrivait un jour d’avoir le guts de partir de tout quitter pi de vagabonder pour toujours.
En revenant à Montréal, la belle, je l’aime Montréal mis à part son absence de palmier pi de climat stable nice, on a vécu notre blues post aventure ensemble. Le blues que d’habitude tu vis tout seul au retour des grands voyages qui te changent la perspective, dans ta bulle dans ta tête, pris avec 10 000 souvenirs et 1000 photos que tu montres et racontes à tout ton entourage qui fait semblant d’être super intéressé mais qui pourra jamais l’être vraiment parce que toutes ces choses que t’as vues et vécues il fallait comme être là pour en comprendre l’importance pi la magie. Des photos d’eau bleu turquoise ça sort toujours un peu gris. Avec lui au moins, on vivait dans le passé à deux, on regardait nos photos ensemble on se racontant nos propres anecdotes en boucle comme un disque qui saute comme ta tante du côté de ton père qui jacasse tout le temps les mêmes affaires. On s’en foutait nous, on était fan de ce qu’on avait vécu on s’en tannait pas. Même notre entourage soudainement était un peu plus intéressé par ce qu’on avait à leur raconter, regarde je me suis ramené un hominidé cette fois-ci, de mon voyage , j’avais pas juste des gossips d’hommes que j’avais frenchés qui ont toujours des comptes facebook déplaisants décevants avec aucune photo qui rende justice à leur charisme, non cette fois-ci j’avais le real deal avec moi, j’étais hyper fière. Lui aussi, il me traînait partout dans sa famille, dans les partys, on se prenait pour le chasseur et le trophée de chasse en même temps l’un l’autre, l’un pour l’autre. Pendant quelques semaines on flottait au-dessus de tout en oubliant qu’il faudrait à un moment donner redescendre pi reprendre la vie qu’on avait laissée là avant les palmiers, les moustiquaires dans le lit les pieds sales et les yeux heureux.
La bulle a donc fait un temps, celui du blues généralement proportionnel à la durée du voyage. Un mois pour nous, mais un mois super convaincu genre la moitié de mes tiroirs à mon appartement étaient rendus à lui et vice-versa ma doudou de voyage toujours en évidence sur le pied de son lit nos photos de nous deux en randonnée sur un volcan bien affichées sur le mur de ma cuisine on a eu la bulle bien forte. Ça a donc surpris deux fois plus fort lorsqu’elle a éclatée. Les 9 à 4 sont redevenus notre quotidien, t’es devenu l’ingénieur que tu étais avant nous mais que j’avais jamais connu, un étranger, et moi je reprenais la dirige d’un navire plein d’enfants de 5 ans, début septembre, nouvelle classe de morveux nouvelle cohorte de cerveau-éponge. Sous le ciel gris d’automne, tes yeux étaient moins bleus pu verts pentoute. Ils étaient gris comme mes photos de l’eau de source avec les chutes. Après nos soirées passées chacun sur nos laptops, je me cachais plus les fous rires avec les deux mains comme tu aimais, je riais pu tant en fait. Rapidement, plein de petits trucs se sont mis à me taper sur les nerfs comme tes solos de guitare qui vont nulle part entre autre pourtant je les aimais crissement entre deux palmiers. Je trouvais pu ça cool et nonchalant ton absence d’hygiène en général, tant sur le plancher que dans tes cheveux. Ton insouciance de voyage s’est transformé en insouciance de vie et moi je la feelais moins soudainement la vibe yolo quand je rentrais crevée d’avoir crié toute la journée les doigts tout pognés dans la colle blanche et des restes de macaroni pas cuits. Toi aussi tu t’es tanné de moi parce que j’étais moins cool soudainement, moins drôle, moins spontanée, j’trouvais ça toff être spontanée l’automne j’sais pas j’suis comme ça c’est la vie c’est la société aussi. Mon moi dans le moule économique d’ici il est moins flexible, c’est normal je pense. D’autant plus qu’en dedans je bouillais tout le temps, j’enrageais d’avoir envie de repartir mais de pas pouvoir faute d’argent de temps de couilles pour faire le grand saut. Tu en parlais toi aussi de faire comme les gens sur instagram qui disent vas-y lâche ta job et vie la vie, tant que t’as wifi l’argent va rentrer en écrivant tes journées sur un blog, mais tu l’aurais pas fait je pense parce qu’une partie de ton laisser-vivre pi ta nonchalance provenaient du fait que t’es paresseux un peu.
Tranquillement pas vite tout ce qu’on aimait de nous on l’a perdu de vue et l’amour qu’on avait en voyage est retourné plier bagage pour revenir là d’où elle venait : d’un petit moment, d’un bout de paradis éphémère, de rien qui devait être permanent. Et avec la fin de nous est arrivé quelque chose de pire encore qu’un amour de vacances qui fonctionne pas passé la fin de l’été : on a souillé nos souvenirs. En se laissant on s’est mis à dénigrer ce qu’on avait vécu, à maudire nos photos de couple à souhaiter qu’on en ait pris plus de nous séparés pour qu’on ait encore quelque chose à accrocher sur les murs de nos appartements. À souhaiter qu’on ait fait autre chose de nos vacances que de s’échanger de la salive les yeux fermés au lieu de regarder le soleil se mettre au lit et fermer les lumières sur la plage. Je dis ‘on’ mais dans le fond je sais pas si toi aussi t’as pensé tout ça et regretté autant que moi, on s’est perdu de vue trop vite pour que je sache.
C’est de notre faute tout ça je le sais je m’en veux. T’avoir gardé creux dans mon chest, avoir enfoui dans mon cerveau mes polaroids de tes cheveux mouillés les matins sur la chaise en rotin plutôt que d’avoir tenté de faire durer plus longtemps ce qui était parfait juste sur le moment sur papier là-bas, peut-être que j’aurais pu repenser au Sri Lanka sans avoir des nœuds dans l’estomac. J’ai rompu avec toi et mon voyage, mais je suis surtout en peine d’amour de là-bas, bien honnêtement.
XX, Les Anodines
Photo par IG: mellire blog: nakiiomelo.wordpress.com