L’ex folle.

Ton ex était folle.

Tu m’en avais pas parlé beaucoup, t’aimais pas ça autant que moi raconter ta vie dans des temps de verbe au passé alors j’en avais que des détails grossiers et encore là « détails » c’est un gros mot; elle était bonne en improvisation et elle essayait d’être végétalienne. Ce que je savais par contre, c’est que tu la trouvais folle. Votre relation s’était finie sur des notes de crises de jalousie de contrôle de ton temps d’appels frénétiques en pleine nuit de manque d’espace. Du tableau que tu me peignais en trois coups de brosse de ses quatre ans dans ta vie, elle était folle folle folle. Il y avait rien à faire. T’étais mieux sans elle. Tu me disais ça pour clore le sujet pi me rassurer en même temps qu’il n’y avait plus aucun de ses hameçons attachés à des petits bouts de ton cœur.  Au début de nous deux j’ai pensé que c’était le morceau d’information le plus cool au monde, j’avais pas à m’en faire ni à me comparer. Clairement tu l’aimais pu pi clairement que j’étais bin mieux qu’elle moi j’étais saine d’esprit bien équilibrée pas du genre à te pèter une coche dans une soirée dans la rue devant tes amis. C’était relaxant me complaire dans cette supériorité, sur ce piédestal sur lequel tu m’avais déposée.

Malgré le bonheur la supériorité le confort pi tout le reste des débuts amoureux, la curiosité a fini par prendre le dessus à un moment donné dans une soirée où mes chums de filles m’ont dit quelque chose genre ‘voyons y’est dont bin moron de traiter son ex de folle maudit pas de classe’ en plus gentil ou en plus méchant je me souviens plus trop on avait bu une bouteille chaque de vino. Du très cheap vino, le genre qui te donne un mal de tête pour des jours et des nuits. Ensemble, on s’est donné la mission d’éplucher ses médias sociaux au complet comme les blés d’inde du mois d’août. En groupe, avec beaucoup d’alcool. On a épluché jusqu’en 2008, à s’en fatiguer les yeux de voir les photos d’une fille qui a pas l’air folle pentoute. Sur vos photos de couple vous aviez l’air heureux ça fittait, mon cœur a remonté dans ma gorge. Ça devait être à cause de la boisson.

Après cette soirée-là, a-han a-han — on pourra jamais dire ce début de phrase sans penser à la chanson il le faut c’est une tradition—je suis retournée lui espionner le quotidien sur les internets plusieurs fois pour bien jouer le jeu de la comparaison et me tester l’estime personnelle. Elle avait beau être folle ton ex, elle devait bien cacher son jeu. Je me suis trouvée moins cool qu’elle souvent.  À lui passer le peigne à poux sur son facebook, je sais pas, moi je la trouvais belle et souriante genre détendue, elle avait l’air de faire plein d’activités qui ont l’air fun comme manger sur des rooftops trop beaux, chiller sur la place des festivals le bout où y’a les ptites lumières cutes pi escalader des montagnes très haute.  J’ai vu sur son mur aucun statut en bloc paragraphe qui raconte les malheurs de sa vie en termes vagues mais qui répond aux gens qui lui demandent ‘voyons ça va quess qui spasse’ ‘j’veux pas en parler’ ni aucun partage d’éditoriaux de faux-magasines qui disent que la grippe pi le 9/11 c’est des complots. J’ai rien vu de ça. Plutôt j’ai vu des posts, des vidéos, des articles de choses que j’avais posté moi too, ça m’a fait capoter un peu. Au final, elle avait l’air d’être le genre de personne avec qui j’aurais été amie comme quand t’as une serveuse trop sympathique au restaurant et que tu penses maudit j’aimerais ça qu’on soit best friends, me semble ça serait plaisant. J’suis tu la seule à qui ça arrive ? Une bonne partie de moi sait que les réseaux sociaux c’est le hall of fame des moments nice de ta vie et qu’on voit rien du laid des journées décriss où tu dis fuck toute. N’empêche, je me sentais le cœur dans la gorge un peu j’avais un malaise j’étais étourdie devant un puzzle qui fonctionnait pas une inadéquation entre ce que tu m’avais dit et ce que je voyais entre ce que je feelais et ce que je rationalisais entre ce que mes amies me disaient pi ce que moi je leur répondais.

Je me suis posée des questions sur  le peu que tu m’avais dit d’elle. Selon toi, donc, elle était folle, ton ex. Mais tu l’avais aimé quand même, ton ex? La fameuse soirée où elle t’a fait une crise monumentale, rappelle moi le contexte déjà? Pourquoi ça me rassurait dans le fond que tu la trouves folle, ton ex? Qu’est-ce que ça dit de moi, de toi, tout ça?

Voilà qu’un soir, elle était là, à l’autre bout d’une pièce que je n’avais pas encore exploré chez l’amie d’une amie d’un ami. J’aurais voulu dire que c’était une coïncidence le grand fruit du hasard mais pas pentoute, j’avais couru après le destin. Par une invitation croisée qui avait fait domino jusqu’à mes évènements facebook je m’étais mis maybe attending , mais comme j’ai vu qu’elle était attending convaincu mon maybe est devenu un ‘oui j’viens’ chose méga rare d’habitude maybe ça veut dire non poli tout le monde sait ça. T’achète pas les sacs de chips pi la liqueur en fonction du nombre de maybe sur ton event. Elle allait être là et moi j’avais besoin de la voir en vrai de vrai sans filtre instagram ni photoshop, sans paroles de chansons ni commentaires « ah t’es tellement belle miss youXX ». En vrai, juste là. À jaser et rire et être normale, dans la même pièce que moi. Ton ex peut-être folle. C’était nécessaire rendu là parce que j’étais en train de me dire que cette histoire me rendait démente pi j’avais pas envie d’être la nouvelle ex de qui tu parlerais aux autres.

 

Ses internets m’avaient pas trop menti sur mes premières impressions parce qu’à la voir là dans le coin à faire des imitations d’un gros monsieur à un groupe de gens qui la trouvait clairement hilarante, elle était exactement comme je me l’imaginais. Très chill.

J’ai dû la fixer trop longtemps parce qu’elle s’est retourné vers moi et a enfoncé son regard dans le mien avant de me faire un grand sourire l’air sincère et s’avancer vers moi. Elle devait faire 5 pieds, les présentations étaient un peu awkward, j’avais les épaules toutes courbées par en dedans à vouloir me mettre à son niveau. Malgré tout, naturellement, comme avec les serveuses cool des restaurants décontracts, on s’est mis à jaser de tout et de rien, prendre plus de bières qu’on devrait surtout elle avec sa shape de moineau, à finir couchées sur le dos sur le divan en L de l’appart de l’amie des amis en communs à avoir une grosse conversation cœur à cœur. Fatalement, t’es enfin arrivé sur le sujet t’étais notre flagrant point en commun. Je lui ai dit que tu la trouvais folle, mais que je comprenais pas. Bien profond dans le houblon qui coulait à flot elle m’a fait un genre de monologue de fille soule-lucide qui t’ouvre les yeux et le cœur.

« C’est vrai un peu, je l’ai été l’ex folle j’imagine. Celle qui appelle ses parents pour savoir où il est, celle qui pète des crises pour un rien qui quitte le bar si ses yeux croisent ceux d’une autre ne serait-ce qu’une seconde de trop. J’ai été celle qui laissait 10 messages vocaux, autant de textos, bin oui. Mais ça ne me définit pas. Ça a été une relation qui m’a tellement rongé en dedans, chaque seconde me remettait en question moi ma valeur en tant que personne pi la valeur de mon couple. C’était épuisant pi c’est dur d’être à ton meilleur quand t’es crevée. J’étais pas bien et lui non plus. J’étais peut-être un peu too much je remets pas question ce qu’il t’a dit mais lui il était pas mieux. Il me cachait des affaires, riait de moi devant ses chums de gars, m’empêchait d’aller dans les partys où y’avait trop de testostérone. Ensemble on était toxique, on faisait sortir le pire l’un de l’autre on se rendait à bout. C’est plate, ça arrive, des incompatibilités. On s’est juste entêté trop longtemps à vouloir se faire fonctionner alors que c’était évident pour tout le monde que ça finirait mal. C’était pas le bon, mais c’est fou comme j’en ai appris beaucoup avec lui. Ç’aurait été l’fun qu’il pense ça lui aussi. »

C’est drôle,  c’est vrai, dans l’histoire de l’ex folle, jamais j’avais entendu la version qui disait que toi t’avais pas été correct non plus. Récit sélectif. Elle poursuit sur sa lancée :

« Regarde les filles aujourd’hui dans le party qui sont belles fortes indépendantes qui ont du fun. Pas mal certaine qu’y’en a pas une que son ex a pas traité de folle à un moment ou à un autre. C’est comme rendu banal de dire ça. C’est dommage par contre, parce qu’elles le sont pas. On devrait pas se juger de même sur des mois de vie qui ont pas été nos plus beaux on devrait pas se coller des étiquettes sur le dos de relations toxiques qui marchaient pas parce que c’est un apprentissage que d’être en couple, qu’on a tous fait nos erreurs. Tant qu’à moi ça en dit beaucoup plus sur le gars que sur la fille, que de traiter ses anciennes flammes comme ça. Un amour, même mort, ça demande du respect. C’est la base le respect.

Si vous deux ça finit en queue de poisson, il va dire quoi? »

Merde, c’est vrai, tu diras quoi quand notre amour finira par s’essouffler? Vas-tu te souvenir du beau ou juste du laid ? Je lui dis quelque chose comme euhh j’sais pas, mais elle entend plus ou moins ma réponse, elle est pressée de me partager des bouts de sagesse et enchaîne immédiatement en plissant de ses petits yeux de fille pactée et en pointant un doigt dans les airs.

« Tsé, au final, la folie la jalousie c’est pas un problème individuel c’est un défaut de couple. De couple qui sont pas faits l’un pour l’autre ou qui ont pas appris à bien s’aimer. Des couples qui se sont pas respectés dans leurs forces leurs faiblesses et leurs expériences passées et qui ont pas su se mettre en confiance. Des gens qui focussent sur leurs nombrils et comment ils se sentent eux plutôt que de faire passer l’autre en premier ses sentiments son confort. Si tout le monde se sortait la tête de leur nombril pour se concentrer sur la personne qu’on aime on aurait pas à être jaloux pi à se poser des questions de même. On aurait pas à virer fou. Il y a une sorte d’énergie, de connexion qui se crée entre les gens qui s’aiment vraiment pour ce qu’ils sont. Il y un moment où il existe plus aucune game ou la transparence rend le love apparent pi on se met en priorité.  Un moment où au lieu de te ronger les trippes l’amour te calme, te rend serein.

Tu vois, je suis avec quelqu’un maintenant. Avec lui, je me sens invincible. Il me donne le goût d’explorer le monde plutôt que s’enfermer dans un appartement ensemble. Il fait sortir le meilleur de moi-même et c’est pareil pour lui, ça se sent il a l’air bien il rayonne quand j’entre dans une pièce je lui donne le courage de faire des trucs qu’il pensait jamais faire. Avec lui, je me sens belle de partout parce qu’il me le fait sentir, c’est sûr, il me le dit me le hurle me le chuchote ça dépend quand, mais pas juste pour ça parce que c’est pas sa responsabilité que je me sente belle. C’est parce qu’il y a quelque chose entre nous qui fait que je me sens jolie et forte que je peux tout faire si j’en ai envie. C’est quelque chose de relationnel. Les énergies ça ment pas. On se fait confiance ce qui fait qu’on a jamais envie de contrôler l’autre on se laisse aller. Jamais je m’imaginerais avoir les émotions en dent de scie avec lui comme je les ai eues avec d’autres. C’est comme ça, c’est tout. J’espère que toi et mon ex c’est comme ça aussi. Ça fait du bien. »

J’ai dit oui, absolument, drett ça et la discussion a pris un autre chemin qui a réhumanisé ton ex pas folle pentoute, pendant quelques secondes elle commençait à prendre des apparences de yoda dans ma tête ou de gandalf, un grand sage quelconque quelqu’un qui a compris la vie quelqu’un qui est certainement pas moi.

J’ai dit oui, absolument, drett ça pour détourner le sujet parce ça s’est mis à me pincer fort dans le chest mon cœur se débattait. Si on s’était trouvé l’amour pour vrai, si on se rendait aussi calme et serein, je pense pas que je serais parti à la découverte de ton ex comme ça. Je pense pas non plus que tu m’aurais dit de pas y aller, à ce party.

On est peut-être toxique toi et moi.
 

 

 

XX, Les Anodines

 

 

Photo par Mélodie, allez voir son instagram mellire et son blog nakiiomelo.wordpress.com